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Nom de code : du camouflage au camouflet


L’industrie financière a coutume d’utiliser un nom de code (ou « project code ») afin de désigner une opération projetée et d’affubler de noms d’emprunt les principales parties prenantes.


Se fondre dans le paysage comme un caméléon

Il peut paraître étonnant de voir le monde des affaires imiter ainsi les codes militaires. Quel rapport y aurait-il entre la planification de la bataille de Normandie durant la seconde guerre mondiale – baptisée d’opération « Overlord » – et un simple projet d’acquisition d’entreprise ?




Dans les deux cas, le choix d’un nom de code permet d’avancer à pas feutrés et donc de préserver la confidentialité de l’opération projetée. L’impératif de confidentialité est partagé par le monde des affaires et par celui des armées.


D’ailleurs, si les parties n’y avaient pas songées spontanément, l’Autorité des Marchés Financiers (« AMF »), leur recommande instamment[1] de prendre des mesures appropriées pour protéger les informations privilégiées et limiter le nombre de personnes y ayant accès, ce qui passe par l’utilisation « systématique de nom de code pour les opérations ».


Chacun observera que les opérations portant sur le capital des sociétés nécessitent une mobilisation de ressources importantes et que les protagonistes s’assignent des objectifs à atteindre dans une période de temps contrainte. Outre la protection du secret, le choix d’un nom de code permet de fédérer une équipe autour d’un projet qui rassemble des compétences variées (professionnels du droit et du chiffre, conseils en stratégie, banquiers d’affaires, opérationnels, etc.) autour d’un objectif commun.


L’emprunt du monde des affaires à la matière militaire n’est donc pas illégitime. On observera que la science de l’organisation des entreprises s’est longtemps nourrie du mode de fonctionnement des armées (stratégie, gestion des ressources humaines, logistique, etc.).


On peut ensuite se demander si le choix du nom de code est libre ou, au contraire, s’il répond à certains critères.


La liberté semble être le maître mot en la matière. C’est ce que révèle l’inventaire suivant : « Mercure », « Digital », « Zion », « Aqua », « Magellan », « Tolbiac », « King », « Sphinx», « Parfum », « Abbaye », « Newton », « Blackjack », « Bingo », « Sabre »... qui sont autant de noms de code qui ont été dévoilés après que l’affaire ait donné lieu à un développement judiciaire ou médiatique[2].


Comme il n’existe aucun critère de choix d’ordre juridique[3], nous nous contenterons de pointer du doigt quelques écueils à éviter.


Pour assurer la confidentialité du projet sous-jacent, il nous apparait essentiel que les noms de code ne soient pas trop proches du champ lexical décrivant l’activité de l’entreprise cible ou de la dénomination de cette dernière. A titre d’illustration, et même si cela peut sembler aller de soi, appeler « projet Yaourt » l’opération sur le capital qui pourrait viser le groupe Danone serait parfaitement maladroit.


On peut ajouter que le nom de code choisi ne devrait emporter avec lui aucune connotation susceptible de desservir le projet. A cet égard, les opérations « Blackjack » ou « Bingo », précitées, en offrent la démonstration de ce qu’il ne faut pas faire. Le fait de confondre une opération de fusion-acquisition avec une partie de jeu au Casino peut, à juste titre, être mal perçu par les parties prenantes et notamment les salariés de la société cible.


Les références ne manquent pourtant pas pour attribuer un nom de code à un projet d’opération sur le capital et ainsi éviter que le camouflage ne vire au camouflet.


On pourra s’inspirer de la mythologie, de la littérature, ou encore de la musique. Et, en cas de manque d’inspiration, il existe un générateur de noms d’emprunt sur Internet[4] qui peut s’avérer bien pratique.





[1] Recommandation AMF n°2010-07 « Guide relatif à la prévention des manquements d’initiés imputables aux dirigeants des société cotées ».

[2] Sans que cela soit systématique, on observera que la poursuite du « délit d’initié » est l’infraction qui donne le plus souvent lieu à une judiciarisation de l’opération sur le capital sous-jacente et donc à un écho médiatique.

[3] Le seul obstacle juridique auquel on pourrait penser réside dans la protection des marques et des œuvres de l’esprit qu’offre le droit d’auteur. L’intérêt pratique de ce sujet nous parait limité puisque la finalité d’un nom de code en matière d’opération sur le capital est précisément de rester confidentiel ; ce qui s’oppose à toute forme de publicité. La question se serait posée différemment en cas de nom de code visant à protéger le lancement d’un nouveau produit qui peut parfois trouver un relai médiatique, quelquefois encouragé par la marque elle-même.


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